démarche

PANS

Le mur est au cœur de la peinture. Avant d’être cette surface verticale contre laquelle viennent s’appuyer les tableaux, d’abord a‐t‐il été le lieu des premières peintures pariétales (peut‐être faudrait‐il dire parois ou pans, plutôt que murs). Plusieurs dizaines de milliers d’années plus tard, les gestes des peintres n’ont pas tant changé, il s’agit toujours de venir assembler un peu de matière colorée face à soi, et laisser une empreinte inscrite – dans le temps. Les représentations picturales, investies des théories de la perspective qui naquirent au Quattrocento, ont cherché à figurer la fenêtre ouverte sur le monde théorisée par Alberti. Mais une peinture, avant d’être un point de vue offrant un espace signifié, est d’abord une surface déterminée, matérielle, plus ou moins plane, généralement opaque, qui invite à être regardée en face.

C’est en prenant connaissance de l’histoire de la peinture que j’ai commencé à remarquer lichens, taches et traces au fil des paysages parcourus. Ce sont les marmi finti de Fra Angelico1 , les œuvres de Gilles Aillaud ou encore celles de Raoul de Keyser qui m’ont permis de leur prêter des qualités picturales.

Des taches d’humidité sur un mur, des griffures creusées dans un revêtement, le développement de motifs de rouille ou d’agrégats calcaires, les traces de frottement répétés, d’usure, le développement de mousses et lichens répondent à une certaine organisation – biologique. Ces inscriptions et tâches semblent mues par une nécessité fortuite et inévitable, signe de ce que le temps et la lumière font à la matière. Ce sont presque déjà des peintures.

Presque, mais pas encore: peindre d’après ces motifs, c’est vouloir leur conférer une temporalité différente, faire de surfaces souillées des surfaces de contemplation. Passer par une transposition vers une autre matière; et changer d’échelle, déployer et en même temps perdre le référent. Il s’agit d’animer la généalogie picturale m’ayant permis, en premier lieu, de les considérer comme presque‐peintures. C’est aussi prendre plaisir à rejouer sur la toile, une touche de peinture après l’autre, l’apparition progressive des motifs sur le mur.

Mais encore faut‐il, avant de les peindre, prélever ces motifs par des photographies, cadrer pour les extraire de leur environnement. L’image obtenue ordonne alors une composition permettant de commencer à peindre. Si ce document photographique m’est utile pour commencer, il est insuffisant à amener une peinturer à son point d’équilibre. À un moment donné, ce qui se développe sur la toile prend le pas sur l’obéissance à l’image référente. Cela revient, en quelques sortes, à oublier le modèle : le trahir au bénéfice de la peinture ; le faire devenir peinture.

Une peinture tient lorsque le regard ne cesse n’effectuer des allers et retours entre la matière qui la compose et ce qu’elle figure. Elle fonctionne lorsque les taches s’assemblent ou se défont selon la distance à laquelle on se tient. Il faut alors mettre son corps en mouvement pour voir, et mieux promener son regard dans l’espace pictural.

C.C – novembre 2022

1Marmi finti: marbres feints. Voir la fresque sous la Madone des ombres, 1450, couvent San Marco, Florence.